Nous relayons 2 articles publiés sur le site de l’association « Human Rights Watch » (https://www.hrw.org/fr) qui vient de publié un rapport documenté sur les divers formes de harcèlement systématique dont les migrants sont la cible de la part de la police française. Ce harcèlement brutal, destiné à dissuader toute reconstitution d’une grande « jungle » et à disperser les migrants qui veulent tenter le passage clandestin vers l’Angleterre, n’est malheureusement pas une surprise. La police ne fait ici qu’appliquer, avec zèle et peut être même à l’occasion un certain plaisir, des directives abjectes venues d’en haut, du pouvoir politique dont la police n’est que l’instrument.
France : La police s’en prend aux migrants à Calais
Le gouvernement ferme les yeux sur les nombreux témoignages de mauvais traitements
© 2017 Mail on Sunday/Philip Ide
(Paris) — La police française à Calais commet régulièrement des abus envers les demandeurs d’asile et autres migrants, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les autorités françaises restent sourdes aux multiples comptes-rendus sur ces abus.
Le rapport de 47 pages, intitulé « ‘C’est comme vivre en enfer’ : Abus policiers à Calais contre les migrants, enfants et adultes », montre que les forces de l’ordre à Calais, en particulier les Compagnies républicaines de sécurité (CRS), ont recours de façon routinière à la pulvérisation de gaz poivre sur des migrants, enfants et adultes, alors qu’ils sont endormis ou dans d’autres situations où ils ne représentent aucune menace. Les policiers aspergent aussi régulièrement de gaz, ou confisquent, leurs sacs de couchage, couvertures et vêtements. Parfois ils aspergent même de gaz poivre la nourriture et l’eau des migrants – tout cela apparemment dans le but de les pousser à quitter la région. De tels agissements de la part de la police violent l’interdiction d’infliger un traitement inhumain et dégradant, mais aussi les normes internationales de comportement des forces de l’ordre, qui appellent les agents à ne faire usage de la force que lorsque cela est inévitable, et alors uniquement avec modération, de façon proportionnée aux circonstances, et toujours dans un objectif légitime de maintien de l’ordre.
« Il est tout à fait condamnable que des policiers utilisent du gaz poivre sur des enfants et des adultes endormis ou en train de vaquer pacifiquement à leurs occupations », a déclaré Bénédicte Jeannerod, directrice France de Human Rights Watch. « Lorsque les policiers détruisent ou confisquent les couvertures des migrants, leurs chaussures ou encore leur nourriture, non seulement ils rabaissent leur profession, mais ils portent atteinte à des personnes, dont ils ont juré de défendre les droits. »
Après avoir dispersé une distribution de nourriture et de vêtements, un soir de mai 2017, les policiers contrôlent et questionnent un garçon qui s’était arrêté pour changer de chaussures avant de retourner dans la zone boisée où lui et d’autres migrants passent la nuit.
© 2017 Help Refugees
Le rapport se base sur des entretiens effectués en juin et juillet 2017 avec plus de 60 demandeurs d’asile et autres migrants, dont 31 enfants non accompagnés, à Calais, à Dunkerque et aux alentours. Human Rights Watch a également rencontré le sous-préfet de Calais et le ministère de l’Intérieur à Paris, de nombreux avocats et travailleurs sociaux, ainsi que des employés et des bénévoles d’organisations non gouvernementales opérant à Calais.Plus de 400 demandeurs d’asile et autres migrants, la plupart d’Érythrée, d’Éthiopie et d’Afghanistan, vivent dans les rues et les zones boisées de Calais et des alentours. Les enfants non accompagnés pourraient être jusqu’à 200. Par ailleurs, au moins 300 autres adultes et enfants de plusieurs nationalités, dont des Kurdes d’Irak et des Afghans, vivent dans des camps de migrants situés à Dunkerque, à Grande-Synthe et aux alentours, à l’est de Calais.
Le sous-préfet de Calais a catégoriquement nié les accusations d’abus policiers, les qualifiant de calomnies. Pourtant, les conclusions de Human Rights Watch se fondent sur les récits cohérents et détaillés que lui ont fait presque tous les demandeurs d’asile et migrants interrogés.
Human Rights Watch a également constaté que face au retour des migrants à Calais en nombre croissant, les autorités locales réagissaient en les empêchant d’accéder à la nourriture, à l’eau et aux autres produits de première nécessité. Or un tribunal a jugé en mars que ces efforts des autorités locales pour interdire les distributions humanitaires revenaient à infliger un traitement inhumain et dégradant. Le Défenseur des droits a lui aussi critiqué cette interdiction et les autres mesures prises par les autorités locales, en concluant qu’elles contribuaient aux « conditions de vie inhumaines » des demandeurs d’asile et des migrants présents à Calais.
Un second jugement, rendu le 26 juin, ordonnait aux autorités de fournir aux migrants un accès à l’eau potable, à des latrines et à des installations pour se doucher et laver leurs vêtements, en leur accordant un délai de 10 jours pour s’y conformer. Les autorités ont fait appel de cette décision le 6 juillet. Dans le cadre de la procédure d’appel, une audience est prévue le 28 juillet.
Biniam T., 17 ans, a déclaré à Human Rights Watch : « S’ils nous trouvent quand nous dormons, ils nous aspergent de gaz puis ils prennent toutes nos affaires. Ils font ça tous les deux ou trois jours. Ils viennent et prennent nos couvertures. »
Des travailleurs humanitaires ont expliqué qu’une fois, des gendarmes armés de fusil les ont encerclés, et que de nombreuses fois, par d’autres méthodes musclées, les CRS ont empêché les migrants de s’approcher des travailleurs humanitaires et ont fait tomber la nourriture des mains de ces derniers.
Des demandeurs d’asile et d’autres migrants à Calais font la queue pour une distribution nocturne de nourriture, couvertures et vêtements, en mars 2017.
© 2017 Privé
Lorsque les travailleurs humanitaires essaient de photographier ou de filmer ces actes, il arrive que les policiers saisissent leurs téléphones de façon temporaire, effaçant ou consultant le contenu sans permission ni motif légal.
Jusqu’à fin octobre 2016, un bidonville sordide et tentaculaire situé en bordure de la ville hébergeait pas moins de 10 000 demandeurs d’asile et migrants, dont beaucoup d’enfants non accompagnés. Les autorités municipales font souvent part de leur détermination à ne pas laisser un campement de migrants se réinstaller aux abords de la ville.
Les autorités locales se sont notamment opposées aux appels demandant la création à Calais d’un centre d’accueil pour migrants ou un guichet unique de demande d’asile, affirmant que cela encouragerait davantage de migrants à venir dans le Nord de la France. Lors de sa visite à Calais le 23 juin, le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, s’est fait l’écho de ces sentiments.
En même temps, le président Emmanuel Macron a promis d’adopter une approche humaine à la question des réfugiés, notamment en réformant le système de l’asile. Récemment en juillet, lors d’un sommet à Trieste (Italie), il a déclaré : « Les femmes et les hommes qui, naguère venant de Syrie, aujourd’hui venant d’Érythrée ou de nombreux autres pays, qui sont des combattants de la liberté, doivent être accueillis en Europe et tout particulièrement en France. Donc, nous prendrons notre part évidemment dans ce combat. »
Les autorités locales et nationales devraient ordonner immédiatement et sans équivoque aux forces de l’ordre de se conformer aux normes internationales sur l’usage de la force et de se garder de comportements entravant l’aide humanitaire – de tels comportements devant faire l’objet de mesures disciplinaires pour abus d’autorité ou autres fautes professionnelles, a déclaré Human Rights Watch. En particulier, les policiers devraient recevoir l’instruction de ne pas faire usage de gaz poivre sur les migrants dans toutes les situations où des moyens d’action non violents seraient tout aussi efficaces pour atteindre un objectif légitime.
De plus, le ministère de l’Intérieur devrait lever de toute urgence les obstacles empêchant d’accéder aux services de protection des réfugiés, soit en mettant en place un guichet unique de demande d’asile à Calais, soit en facilitant le dépôt des demandes d’asile dans les guichets existants. Le ministère devrait aussi travailler en lien avec les agences et associations humanitaires appropriées afin de fournir dès que possible un hébergement à tous les demandeurs d’asile et d’organiser un accueil d’urgence pour tous les migrants sans papiers et sans abri à Calais.
Enfin, les autorités locales et nationales devraient garantir que les enfants migrants non accompagnés aient accès aux services de protection de l’enfance, notamment à des centres d’accueil dotés d’une capacité suffisante et d’un personnel adapté.
« Les autorités devraient envoyer un message clair pour signifier que le harcèlement policier, ou toute autre forme d’abus de pouvoir, ne sera pas toléré », a conclu Bénédicte Jeannerod. « Le gouvernement a le devoir de s’assurer que les migrants sont protégés et qu’ils ont la possibilité de demander l’asile s’ils le souhaitent. »
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« C’est comme vivre en enfer »
Abus policiers à Calais contre les migrants, enfants et adultes
Depuis qu’ils ont rasé [le camp de Calais] l’an dernier, il n’y a nulle part où dormir ou manger. C’est comme vivre en enfer.
– Yeakob S., Éthiopien de 29 ans, Calais, 30 juin 2017
[L]es femmes et les hommes qui, naguère, venant de Syrie, aujourd’hui venant d’Erythrée ou de nombreux autres pays qui sont des combattants de la liberté, doivent être accueillis en Europe et tout particulièrement en France.
– le président Emmanuel Macron, Trieste, Italie, le 13 juillet 2017
Neuf mois après la fermeture par les autorités françaises du grand camp de migrants, connu sous le nom de « la Jungle » et qui était situé en bordure de Calais, entre 400 et 500 demandeurs d’asile et autres migrants vivent dans les rues et les zones boisées de cette ville du Nord de la France et des alentours.
En se fondant sur des entretiens menés avec plus de 60 demandeurs d’asile et migrants, à Calais, Dunkerque et aux alentours, ainsi qu’avec une vingtaine de travailleurs humanitaires actifs dans cette zone, ce rapport documente les abus commis par les forces de police à l’encontre de demandeurs d’asile et de migrants et leurs agissements visant à perturber l’aide humanitaire et à harceler les personnes qui la délivrent – autant de comportements qui s’expliquent apparemment, au moins en partie, par la volonté de limiter le nombre de migrants présents dans la région.
Human Rights Watch a constaté que les policiers à Calais, en particulier les Compagnies républicaines de sécurité (CRS), font un usage courant de gaz poivre sur des migrants, enfants et adultes, alors qu’ils sont endormis, ou dans d’autres situations où ils ne présentent aucune menace ; qu’ils aspergent de ce gaz ou confisquent des sacs de couchage, des couvertures et des vêtements ; et que parfois, ils pulvérisent du gaz sur la nourriture et l’eau des migrants. Les policiers perturbent également la délivrance d’assistance humanitaire. Les abus policiers ont un impact négatif sur l’accès aux services de protection de l’enfance et sur la volonté de migrants et leur capacité de déposer une demande d’asile.
Une telle conduite de la part de la police dans et autour de Calais constitue un abus de pouvoir, violant l’interdiction des peines ou traitements inhumains et dégradants, ainsi qu’une atteinte aux droits des migrants à avoir accès à l’eau et à la nourriture. Selon les normes internationales, la police ne doit avoir recours à la force que lorsque cela est inévitable, et alors uniquement avec modération, en proportion avec les circonstances, et dans un objectif légitime de maintien de l’ordre.
Les autorités ont pourtant ignoré les multiples témoignages portant sur les abus policiers envers les demandeurs d’asile et les autres migrants. Vincent Berton, le sous-préfet de Calais, a catégoriquement réfuté les comptes-rendus selon lesquels les policiers ont utilisé des sprays au gaz poivre ou ont eu recours à la force sans distinction et de façon disproportionnée. « Ce sont des allégations, des déclarations de personnes, qui ne sont pas basées sur des faits », a-t-il déclaré à Human Rights Watch.
En mars 2017, les autorités locales ont formellement interdit aux associations humanitaires de distribuer de la nourriture, de l’eau, des couvertures et des vêtements aux demandeurs d’asile et aux migrants. Un tribunal a suspendu ces arrêtés le 22 mars, estimant qu’ils revenaient à infliger un traitement inhumain et dégradant. Le Défenseur des droits, a lui aussi critiqué les mesures prises par les autorités locales, dont les arrêtés, concluant qu’elles contribuaient à des « conditions de vie inhumaines » des demandeurs d’asile et des migrants présents à Calais.
Depuis fin juin, les autorités permettent une seule distribution d’aide humanitaire par jour, d’une durée de deux heures, dans une zone industrielle située près de l’ancien camp de migrants. En plus de cela, le prêtre d’une église locale a autorisé la tenue d’une distribution à l’heure du déjeuner sur le terrain de l’église. Les policiers perturbent régulièrement les autres distributions d’assistance humanitaire. Les travailleurs humanitaires ont expliqué comment une fois, lorsqu’ils essayaient de donner de la nourriture aux migrants, ils sont retrouvés encerclés par des gendarmes armés de fusils, et comment à plusieurs reprises, les CRS leur ont fait tomber la nourriture des mains lorsqu’ils tentaient de la distribuer aux migrants, et encore comment ils ont empêché des migrants par la force de s’approcher des bénévoles.
Des travailleurs humanitaires ont entrepris de photographier ou de filmer ces actions policières, comme la loi française les y autorise. En réaction, disent-ils, les policiers ont parfois saisi temporairement leurs téléphones, en effaçant ou en consultant le contenu sans permission.
Les travailleurs humanitaires témoignent aussi que les policiers les soumettent régulièrement à des contrôles de papiers – parfois à deux reprises ou davantage, en quelques heures seulement. Les contrôles d’identité sont légaux en France, mais ils peuvent ouvrir la porte à des abus policiers. À Calais, les contrôles d’identité des travailleurs humanitaires retardent souvent les distributions d’aide humanitaire. Ils empêchent aussi les travailleurs humanitaires d’observer comment les policiers traitent les migrants lorsqu’ils dispersent tout le monde après les distributions.
Le président Emmanuel Macron s’est engagé à adopter une approche humaine à la question des réfugiés et des demandeurs d’asile. Le 12 juillet, son gouvernement a annoncé des initiatives visant à améliorer l’accès aux procédures de demande d’asile et à fournir des logements supplémentaires et d’autres aides aux demandeurs d’asile et aux enfants non accompagnés. Ces mesures sont bienvenues, mais contrastent nettement avec la manière dont les demandeurs d’asile et les autres migrants sont actuellement traités à Calais.
Pour respecter ces engagements, ainsi que les obligations internationales de la France, les autorités locales et nationales devraient ordonner immédiatement et sans équivoque aux forces de l’ordre de se conformer aux normes internationales sur l’usage de la force et de se garder de comportements entravant la délivrance de l’assistance humanitaire – de tels comportements devant faire l’objet de mesures disciplinaires appropriés pour abus d’autorité ou autres fautes professionnelles.
Le ministère de l’Intérieur devrait lever les obstacles entravant l’accès aux services de protection des réfugiés, soit en ouvrant un guichet unique pour les demandes d’asile à Calais, soit en facilitant, dans des guichets déjà existants, le dépôt d’une demande d’asile par ceux qui souhaitent la faire. Il devrait aussi collaborer avec les agences et associations humanitaires appropriées afin d’assurer l’accès à un hébergement pour tous les demandeurs d’asile, y compris des hébergements d’urgence pour tous les migrants sans papiers et sans abri à Calais.
Enfin, les autorités locales et nationales devraient garantir que les enfants migrants non accompagnés aient accès aux services de protection de l’enfance, notamment à des centres dotés d’une capacité suffisante et d’un personnel adapté.